« Participation et création » : retour sur notre premier Feu de camp
Publié par Souffler sur les Braises le
Le premier Feu de camp de Souffler sur les Braises a eu lieu le jeudi 17 février 2022 et portait sur le thème « Participation et création : comment veiller à la dignité de chacun·e ? ». Pour l’occasion, nous étions accueillis au Rocksane à Bergerac par l’équipe de l’association Overlook. Un grand merci à eux !
L’atelier, ouvert à tou·te·s, s’est déroulé en 3 séquences introduites par un jeu de brise-glace pour faire connaissance entre nous.
Les projets de création participative sont-ils tous de même nature ?
Chaque participant·e est invité·e à décrire sur un post-it un ou plusieurs projets de création participative qu’il·elle a initié/coordonné ou auquel il·elle a participé.
Ensuite, chacun·e partage à l’oral le projet dont il·elle a souhaité parler et vient coller son post-it sur la feuille de travail.
Dans un deuxième temps, il est proposé aux participant·e·s de regrouper les projets présentés par type (l’esthétique principale – danse, musique, etc…- ne pouvant constituer un critère de regroupement). Il ne s’agit pas d’un débat muet, les participant·e·s peuvent débattre entre eux des choix qu’il·elle·s proposent et pourquoi.
À l’issue de ce temps d’échange, plusieurs “patates” se dessinent, et il apparaît aux participant·e·s que les projets de création participative évoqués peuvent être discriminés selon 2 grands critères principaux :
1. La finalité : Quel est le but poursuivi par les initiateur·rice·s du projet ? À quoi je participe ? Le plus important : l’objet artistique ou la démarche elle-même ? “Car parfois c’est le chemin qui est le plus important !”. Le projet artistique est-il au service des personnes, ou est-ce que ce sont les personnes qui sont au service du projet artistique ?
“Pour autant, parfois, les gens sont aussi très attachés à la finalité, à ce qu’une œuvre soit produite avec ce que cela véhicule notamment en termes de reconnaissance et de fierté !”. Dans certains des projets évoqués, la forme de la restitution peut aussi évoluer lors du processus, en concertation avec les participant·e·s : “On était parti·e·s sur la création d’un livre mêlant textes et illustrations et finalement on va peut-être aussi faire des lectures publiques, voire une mise en théâtre avec avec les participantes ou une comédienne selon leur souhait”.
Le produit fini semble parfois aussi être un exercice imposé par le contexte même de production : “Souvent, les partenaires et financeurs tiennent à ce qu’il y ait un rendu…”. Ce qui questionne la logique de financement de ce type de projet, des contraintes imposées selon les choix retenus, et finalement de la marge de manœuvre dont on dispose. “Est-ce que ce n’est pas nous aussi qui considérons ce principe “ils financent, ils veulent voir” comme incontournable ?”.
2. La relation : Quelle importance a été donnée à la relation aux personnes ? La notion de temps est importante. “Les projets longs sont ceux où on peut mieux apprendre à se connaître et à se faire confiance…mais on ne peut pas toujours accorder autant de temps.”. Parmi les projets mis en partage, on voit que le spectre relationnel est très large : du “zéro relation” de la photo volée (pourtant sans les personnes, l’objet artistique n’est pas !), à la réciprocité entre artistes et personnes. Pour les artistes se pose la question de ce qu’on est prêt à céder pour tendre vers cette réciprocité : une part de maîtrise, et finalement… du pouvoir. Avec une possible tension entre l’intention émancipatrice et le moment où justement l’émancipation arrive et qu’il faut “accepter de lâcher prise”.
Création participative : quels sont les bénéfices et les risques pour les personnes, pour les artistes ?
À l’issue de la première séquence, un certain nombre de bénéfices et de risques liés aux projets de création participative ont déjà été identifiés, nous prenons le temps de les résumer, et d’en rajouter d’autres qui nous viennent à l’esprit.
BENEFICES
Faire l’expérience de la démocratie, de l’aventure collective, d’une mixité sociale (“faire se rencontrer des gens qui ne se seraient jamais rencontrés autrement”) comme on peut rarement le faire aujourd’hui
Porter un projet politique (au sens noble)
Faire ensemble, partager (notamment des émotions, des imaginaires), “mettre en lumière nos communs”
Reconnaître, valoriser l’identité, la culture de chacun·e
Contribuer à la dynamique d’un territoire
Questionner nos habitudes, nos croyances, déconstruire, décloisonner, débattre
Apprendre, acquérir de nouvelles compétences
Nourrir nos imaginaires, notre créativité
S’exprimer, prendre la parole, être entendu
Devenir acteur·rice, s’émanciper
Se sentir légitime
(Re)devenir visible
RISQUES
Fatigue, stress, lassitude, “burn-out émotionnel”
Se sentir bousculé·e, trop impliqué·e
Se sentir dépossédé·e de sa parole
Décalage entre l’intention initiale et ce qui se produit, “se sentir trahi·e alors qu’on y a mis beaucoup de soi”
Ego des artistes, des personnes qui sont à l’initiative du projet
Énorme responsabilité pour soi (impératif de rendu), mais aussi vis-à-vis du groupe
Violence possible dans les rapports
Tension entre démocratie et nécessité d’agir (impératif de rendu, de temps…), peur de ne pas atteindre l’objectif
Risque de détournement, d’instrumentalisation, “caution du participatif”
Non réciprocité (donner beaucoup, peu recevoir ou de manière disproportionnée)
Ne pas bien gérer l’après : quand le projet a agité un certains nombre de choses, eu un impact fort dans la vie des participant·e·s, le projet est fini et ils se retrouvent seul·e·s
Quels outils pour prévenir les risques inhérents aux projets de création participative ?
Après avoir identifié un certain nombre de risques inhérents aux projets de création participative, les participant·e·s sont invité·e·s à mettre en partage des outils/modes de fonctionnement qu’ils ont pu expérimenter (ou à en suggérer de nouveaux) pour les éviter ou en limiter l’impact.
Se questionner sur la nature profonde du projet : “pourquoi je fais ça ?”
Qu’est-ce qui m’anime ? De quelle nature est la petite flamme ?
C’est un temps qui semble nécessaire pour toutes les personnes à l’initiative du projet : artiste(s) ou groupe de personnes.
Un des participant·e·s relate notamment l’expérience d’un label musical :
“On avait monté un label indépendant avec des copains. Des visions différentes, le manque d’investissement de certains a fini par créer des tensions. Des difficultés financières sont venues s’ajouter à cela et finalement le projet s’est arrêté.”
Ce “pourquoi” va servir de cadre de référence au projet.
Il peut prendre différentes formes : note d’intention, projet associatif…
Avant le démarrage du projet, il faut s’assurer que toutes les personnes qui vont y participer l’ont bien intégré et y consentent.
C’est le cadre auquel on se référera pendant la vie du projet. Il permettra aussi aux nouvelles personnes qui l’intègrent (ex: nouveaux bénévoles associatifs) de mieux en comprendre les tenants et aboutissants.
Cela n’empêche pas pour autant de le questionner lorsque le projet évolue et que le besoin s’en fait sentir, de le réévaluer, mais en attendant, il sert de fil d’Ariane.
Définir un cadre de fonctionnement
Ce sont les moyens que l’on va déployer pour atteindre nos objectifs.
Pour le définir, il faut avoir anticipé les tâches et réfléchi à la gouvernance du projet.
Souvent, ce cadre de fonctionnement est défini par les porteur·se·s du projet en amont de son lancement. Le mettre en débat avec les participant·e·s au projet apparaît comme une nécessité. Dès le démarrage, ou tout au long du projet quand le cadre aura été éprouvé par l’expérience. Auquel cas, ce sont les espaces de débat autour du cadre de fonctionnement qu’il est intéressant de prévoir.
Exemple : programmation participative d’un festival
“On était partis sur l’idée d’une horizontalité totale. Mais construire une programmation à 50 c’est juste impossible. On a fini par avoir recours au vote, et cela créait des frustrations. Finalement, on a mis en place un fonctionnement par pôles (programmation, communication, buvette/restauration, décoration…). Cela a réintroduit une part de fonctionnement pyramidal, mais il fallait bien qu’on avance…”.
Le fonctionnement décrit s’apparente à de la sociocratie, un mode de gouvernance partagée. C’est l’expérience qui a amené l’association organisatrice à questionner sa gouvernance et la faire évoluer vers quelque chose de plus efficient.
L’association questionne aussi ses outils.
“On a mis en place différents outils : un groupe Facebook où chacun·e peut partager les groupes/spectacles qu’il·elle à repérés. Et aussi un padlet qui il est vrai est un énorme fourre-tout. On s’interroge souvent sur ces outils : est-ce que tout le monde est en mesure de les utiliser ? Est-ce qu’on se cache derrière en disant : on a mis en place des outils donc on a fait le boulot… ?”.
Dès lors qu’un pôle programmation est créé, peut-être est-ce à lui d’expérimenter ses propres outils ?
Voici une autre expérience relatée par un facilitateur qui accompagnait un groupe de personnes dans l’écriture du projet d’un centre social :
“J’avais prévu un jeu d’intelligence collective qui visait à mettre en évidence des enjeux de pouvoir. Je me suis rendu compte que la majorité des participant·e·s était plus à l’aise avec la langue arabe. Dès lors, pourquoi leur imposer le français ? J’ai proposé que le jeu se fasse en langue arabe. Et finalement les dynamiques de leadership ont totalement changé et nous sommes je crois arrivés à un résultat plus sincère. Je n’y comprenais pas un traître mot, mais demandais la traduction quand le besoin s’en faisait ressentir. Et c’était très bien comme ça.”
Prendre soin les un·e·s des autres, de la relation
L’une des participant·e·s partage l’expérience d’un festival où les bénévoles sont particulièrement soignés.
“On fait vraiment attention à nous : on participe à des temps conviviaux en amont pour faire connaissance, on nous écoute pour savoir à quel poste nous serons le plus à l’aise ou là où on me sera moins mais où on voudrait apprendre, on mange bien…Et a un moment donné, si on sent qu’il y a besoin, on va soutenir une autre équipe.”.
Lors de la séquence #2 on a vu que le risque de burn-out (tout court ou “émotionnel”) était réel aussi bien du côté des artistes/porteur·se·s de projet, que du côté des participant·e·s. Dès lors prendre soin des un·e·s des autres est capital.
Cela demande parfois d’avoir anticipé les endroits où cela peut pêcher. Ou de les constater avec l’expérience.
L’une des participant·e·s partage son expérience autour d’un projet de création de documentaire radiophonique :
“Je savais par expérience que ce moment-là du projet allait être particulièrement sensible. Nous allions restituer la mise en mots des témoignages des participantes et il y avait un risque que cela leur soit difficile. J’avais donc dès le début du montage du projet intégré un budget pour la présence d’un·e psychologue à cette étape car je ne me sentais pas en capacité de porter cela.”.
Qu’advient-il aussi après le projet ? De par son ambition émancipatrice, le projet peut avoir agité un certain nombre de choses chez les participant·e·s. Que se passe-t-il quand le projet est fini et que les participant·e·s se retrouvent seul·e·s ? Anticiper cette situation et faire en sorte de donner aux participant·e·s le moyen d’être accompagné·e·s après le projet (par des associations à caractère social, accompagner la survivance du groupe après le projet…) peut s’avérer nécessaire.
Les projets de création participative sont de nature à créer une forte implication émotionnelle. Comment faire pour que l’espace du projet ne soit dès lors pas submergé par la relation.
L’un des participant·e·s témoigne :
“Lorsqu’on lance un projet associatif, on le fait souvent avec des personnes qui nous sont proches, qui sont des amis dans la vie. Mais l’espace du projet est différent de celui de la relation qu’on a avec ces personnes. Et ce n’est pas toujours facile de séparer les choses…”.
De la même façon, au fil du temps et du projet, des liens forts peuvent se créer entre les personnes, des relations qui ne sont pas toujours faciles à gérer dans l’espace du projet.
Pour cette raison, certaines organisations qui expérimentent l’auto-gestion ont prévu dans leur schéma de gouvernance, et ce au même titre que les cellules décisionnelle et organisationnelles, une cellule relationnelle. Son objectif ? “Dégoupiller” toutes les difficultés relationnelles qui viennent “polluer” les processus décisionnels et opérationnels avant que celles-ci ne prennent trop d’ampleur. À titre d’exemple, on citera notamment la SCIC Babel.Coop.
Conclusion
Il n’y a pas de bon ou mauvais projet de création participative en soi. Pour autant, derrière le terme de participation se cachent sans doute autant de typologies de projets que de projets eux-mêmes. Quid de la dignité des personnes qui était notre question de départ ?
Selon le philosophe allemand Emmanuel Kant (dans Critique de la raison pratique), la dignité est “le fait que la personne ne doit jamais être traitée seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi”. Dès lors, il semble que pour s’assurer qu’un projet participatif permette de préserver la dignité de chacun·e, il faut que celle-ci soit bien au cœur des préoccupations. Cela rejoint la conclusion à laquelle nous sommes arrivés lors de la séquence #1 selon laquelle les projets de création participative peuvent être discriminés selon la finalité et la relation.
Sur le sujet, Jean-Michel Lucas aka Doc Kasimir Bisous sur les réseaux apporte un éclairage intéressant avec son test d’humanité appliqué au projet Les Clameuses.
Aussi pouvons-nous conclure à la nécessité de se poser cette question majeure avant d’entreprendre tout projet de création participative : “L’humanité (et par là même la dignité) est-elle un enjeu ?”. Et quelle qu’en soit la réponse, s’assurer d’un principe essentiel : la transparence, pré-requis du consentement éclairé à toute participation
Bonus :
Un certain nombre des outils proposés à la séquence #3 rejoignent les 9 clés d’intérêt général des droits culturels que vous pourrez télécharger au lien ci-dessous. Bonne lecture !
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